Ca y est ! Le premier article du Blog de l'Empiriciste est paru. Je tiens à vous remercier chaleureusement de votre patience (certains l’ont attendu des mois), de votre intérêt, et de certains de vos commentaires.
Comme promis sur Twitter, voici en vrac un petit commentaire des commentaires de ce premier post de blog. Je veux ici répondre à des questions et objections, fournir des sources complémentaires, et préciser ici ma démarche.
Rassurez-vous, Philippe Quirion est au courant de cet interview
Sur Facebook, et parce que mon site vient de paraître, on a émis la possibilité que cet interview soit fausse. Rassurez-vous : j'ai été en contact avant, pendant, et après la rédaction de l'article avec Philippe Quirion. Pour preuve, il a d'ailleurs partagé l'interview sur son compte twitter.
Les corrections mineures
- Le lien vers le premier article que Philippe Quirion citait ne marchait pas. J'ai réglé ce problème. Les références exactes étaient disponibles dans les sources de l'article.
- Un lien vers le rapport du GIEC cité a été ajouté, ainsi que la citation originale.
- Bien évidemment, le GIEC ne « prévoit » pas vraiment comme je l'ai d'abord écrit. Il fait une synthèse de la littérature scientifique. C'est une erreur de transcription des propos de P. Quirion donc elle est mienne ; elle provient d'une faute d'inattention, non du fait que j'ignore l'activité du GIEC.
- Concernant le calcul de l'évolution des facteurs de charge en fin d'article, j'ai précisé le terme "calcul". Philippe Quirion ne s'est pas contenté de faire la différence entre le facteur de charge entre 2020 et 2012. Il a fait une régression linéaire (une simple modélisation statistique) pour tenter de dégager une tendance. On a pu souligner que les facteurs de charge pouvait avoir une forte variabilité inter-annuelle. P. Quirion m'a répondu "Pour l'éolien, la tendance est faible et les variations interannuelles relativement importantes. La tendance n'est pas forcément significative. En revanche, pour le solaire, la tendance est forte. Les variations interanuelles sont faibles. Il y a bien une tendance à la hausse. Surtout, le coeur de cet argument était de souligner que fixer des valeurs aussi inférieures aux observations biaise les résultats.".
Pour élargir la réflexion, d'autres ressources intéressantes
Je vous propose deux autres ressources pour élargir la réflexion:
- Le physicien Greg De Temmerman que vous pouvez suivre sur twitter a commenté : "Intéressant. Je suis un peu critique sur la référence à l'article de Brown et al qui est loin de faire consensus- d'ailleurs et qui vient de la même période que les critiques à Jacobson et al". Il fournit cette étude en source.
- Kevin Arnoux propose aussi une synthèse des différentes études les plus connues sur le mix électrique en France.
Merci pour vos contributions ! N'hésitez pas à me contacter si vous avez d'autres sources intéressantes. J'attends plutôt des liens vers des publications scientifiques (si possible publiées dans des journaux à haut facteurs d'impact) ou des contribution de spécialistes (ex: ingénieurs spécialistes en énergie), chercheurs, des docteurs en sciences de l'environnement/sciences sociales appliquées à l'environnement qui publient dans des revues avec relecture par les pairs. A défaut, des contributions d'intervenants comme Emmanuel Pont qui font référence à la littérature scientifique, et reconnaissent les limites de leur propre expertise me conviennent aussi tout à fait.
Pourquoi tant insister sur la revue par les pairs ?
Pourquoi insister tant sur les chercheurs, ou en tout cas sur l'importance de citer des travaux publiés dans des revues scientifiques ?
On m'a rétorqué que le fait qu'un travail soit publié dans une revue d'experts respectable n'était pas la garantie qu'il était infaillible. Au risque de dissiper des fantasmes positivistes, il n'existe aucune garantie d'infaillibilité. Néanmoins, sur des sujets qui nécessitent des connaissances et compétences très spécifiques, on n'a pas trouvé meilleur système que la reconnaissance circulaire entre experts: il vaut mieux croire les travaux qui ont été relus et validés par la communauté d'experts d'un domaine, si possible via des journaux qui ont bonne réputation au sein de cette même communauté. La revue par les pairs est un principe scientifique cardinal, et je pense qu'il est difficile de se dire pro-science sans y adhérer.
Oui, ce principe de reconnaissance par les pairs est imparfait, mais il semble indépassable. Qui d'autre qu'un expert pour juger votre expert ? Quand on nous parle d'un sujet qu'on ne maitrise pas, notre ignorance nous empêche de jauger seuls la validité des propos de nos interlocuteurs. C'est de là que tirent leur légitimité tous ces gages d'expertise: doctorat, poste de chercheur dans des instituts reconnus, et surtout articles validés par les pairs. Tout ceci n'est pas une garantie absolue de véracité, mais c'est une des rares garanties de compétence dont on dispose: la science est peut-être le pire mode de production de connaissances, mais c'est à l'exception de tous les autres.
Pourquoi il ne suffit pas de dire que Philipe Quirion est un militant pour réfuter ses propos
Beaucoup ont souligné, à raison, que P. Quirion était un militant associatif qui avait pris à de nombreuses reprises des positions fermes contre le nucléaire. On a partagé une série de critiques et de vérifications des déclarations du RAC, réseaux d’association qu’il préside. Ce n’est pas un sujet de débat illégitime, mais ce n’est pas du tout celui de l’article.
Toutefois, comme la plupart d'entre-vous, je considère qu'une activité militante est toujours un fait important à signaler. Dont acte: je le mentionne très tôt, dans la troisième phrase du chapeau de l'article. Pour reprendre l'heuristique (principe d'aide à la décision) proposée par l'économiste sceptique, les militants actifs ont des incitations particulières à défendre certaines positions et présenter préférentiellement certaines informations - pour le dire de manière caricaturale, ils ont peu d'intérêt à scier la branche sur laquelle ils sont assis. Ceci s'applique aussi à Jean-Marc Jancovici d'ailleurs, mais sans doute moins à un chercheur qui ne militerait pas activement. Toutes choses égales par ailleurs, il n'est donc pas absurde de considérer que les propos d'un militant actif nécessitent a priori plus d'efforts de vérification que ceux d'un non-militant.
Néanmoins, trois objections sont importantes à formuler ici.
Premièrement, on est jamais tiré par un seul fil ! Philippe Quirion n'est pas uniquement militant (ce qui en soi n'aurait rien de déshonorant), il est aussi un chercheur dont le travail sur le sujet sur lequel il est interviewé est reconnu par ses pairs. Il est docteur en économie de l'énergie, chercheur au CNRS. Il publie des articles dans des revues à comité de lecture. Ceci implique qu'il a également des incitations en sens contraire de celles d'un militant non chercheur. Prononcer des absurdités, falsifier des données, ou même tenir un discours vraiment fragile scientifiquement pourrait lui valoir le discrédit de ses pairs. Or, c'est sur l'approbation par les pairs que repose toute carrière de chercheur ! Je ne suis pas en train d’écrire que ceci suffit à garantir la rigueur d‘un propos. Mon point est qu’il y a plusieurs forces contradictoires à l’oeuvre, et, si on veut examiner les incitations qui peuvent modeler un discours, il faut toutes les considérer.
On a pu comparer Philippe Quirion a un autre chercheur en économie célèbre mais très politisé par ailleurs, le mari de Julia Cagé, Thomas Piketty. Je ne sais pas dans quelle mesure la comparaison est pertinente. Mais même s'il est, cela ne me fera pas regretter mon choix d'interviewé. Sur son sujet de recherche, les inégalités, T. Piketty jouit d'une authentique reconnaissance de la qualité de son travail par ses pairs. Ceci justifierait tout à fait que je l'interviewe pour parler de ses recherches. S'il lit cette interview et qu'il est intéressé par un échange, il peut m'écrire à unempiriciste@gmail.com ^^
Deuxièmement, j‘expliquais plus haut que le militantisme d’un auteur légitimait parfois des efforts de vérification supplémentaires de ses propos. Mais dire que celui qui parle est militant n’est pas la preuve qu’il a tort. La véracité des propos d'un individu dépend entièrement... de la véracité de ses propos. Si on est incapable de dépasser la mention de liens d'intérêt, si on ne sait pas pointer ce qui pourrait être gênant ou tronqué dans l'interview -comme certains commentateurs ont su le faire, l'argument du militantisme devient caduc.
Troisièmement, P. Quirion montre que certaines erreurs de Jean-Marc Jancovici le conduisent à surestimer... les coûts du nucléaire ! En particulier, il pointe que JMJ fixe un coût/euro par KW du nucléaire plus élevé que les observations, et que son choix (dans l'article de blog dont il est question) de ne pas actualiser tend à pénaliser le nucléaire. Il aurait été facile pour P. Quirion d'occulter ces points. Ceci suggère qu'il a pensé en chercheur, c'est-à-dire contre lui-même. Cela ne rend pas notre interviewé infaillible pour autant: personne ne l'est, mais je considère cela comme un signal positif quant à la rigueur de sa démarche. Ceci met aussi en lumière le sujet central de cet interview: le degré de rigueur de la simulation excel de JMJ.
Au delà la question du mix optimal, les limites de l’approche par les calculs de coin de table
Parce que les erreurs et choix contestables de JMJ ne conduisent pas tous à réduire artificiellement son coût estimé nucléaire et à augmenter celui des renouvelables, cet interview ne prouve pas que la thèse de JMJ est indéfendable. L'article rappelle d'ailleurs qu'il existe certaines estimations dans les canons scientifiques avec des mix optimaux à majorité nucléaire. A titre personnel, je n'étais pas un militant antinucléaire, et je n'en suis pas devenu un suite à mes échanges avec P. Quirion. J'ai pourtant trouvé sa critique de l'exercice de JMJ édifiante. Je sais que je ne suis pas seul dans cet exact cas.
En effet, je n’ai pas conçu cet interview pour qu’elle tranche le débat du meilleur mix énergétique à horizon 2050, débat dont la réponse dépend aussi d'arbitrages politiques. Ceci aurait nécessité un article beaucoup plus long, où par exemple P. Quirion aurait longuement présenté un modèle alternatif.
Le sujet de l’interview était les limites de l’exercice mené sur le blog de Jean-Marc Jancovici. Est-ce qu’on peut vulgariser avec justesse et énoncer des conclusions fiables en remplaçant l'explication de la littérature scientifique par des calculs de coin de table ? C’est à mon sens sur la capacité à éclairer la répondre à cette question qu’il faut juger l’article.
Cet interview permet, je crois, de mieux comprendre en quoi la simulation excel de JMJ diffère de la littérature : choix étrange de séparer éolien et nucléaire dans le calcul, hypothèses hardies sur le stockage, hypothèses parfois en marge des observations (ce qui est certes moins grave pour un modèle-jouet)... Je crois que c’était utile à en juger par les remerciements que j’ai reçu.
C’est tout l’esprit de cette série d’articles: confronter les propos de JMJ à une littérature scientifique qui traite de sujets similaires ou proches des siens, mais qu’il ne cite pas. Ainsi, le prochain article sur le lien énergie-économie tentera de résumer une abondante littérature empirique sur ce sujet qui est cher à Jean-Marc Jancovici.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire de faire mentir les chiffres ? Est-ce que j’accuse JMJ de les faire mentir sciemment ?
Non. Cet article est hébergé sur le blog d'Un Empiriciste. Comme le site l'indique maintenant:
« Le Blog d'un Empiriciste est un projet complémentaire du site en construction Comment Faire Mentir les Chiffres, qui présente les biais qui peuvent fausser notre lecture des données, et nous empêcher d'entendre ce que les chiffres disent vraiment.
Sur ce blog, il s'agit plutôt de savoir comment ne pas faire mentir les chiffres. On y parle surtout de comment les chercheurs en science économique, en sciences sociales et dans d'autres disciplines encore testent leurs théories. Ce blog présente les méthodes par lesquelles les chercheurs tentent d'écouter ce que les chiffres ont vraiment à dire. Mais il comportera aussi des articles sur la science économique en général (la théorie du ruissellement est-elle vraie ?), le fonctionnement des sciences (les revues scientifiques les plus réputées publient-elles les articles les plus fiables ? Que dit la recherche ?), et l'articulation entre science et société (quel pouvoir donner aux experts ?)."
Quel est le projet de ce blog et site ?
La citation plus haut répond assez bien à cette question. J'y reviendrai plus longuement dans le dernier article de la série, mais le propos entre guillemets montre bien que Le Blog de l’Empiriciste n’a pas du tout vocation à devenir le blog de l’anti-jancoviciste, ni un blog uniquement consacré aux énergies et à l’environnement. Après cette série, je continuerai à aborder régulièrement la question de la transition écologique, mais principalement sous l’angle de l’évaluation des politiques publiques. Si une politique comme la taxe carbone est mise en place, comment savoir si elle a été efficace ? Si les émissions montent après la politique, n’auraient-elles pas plus monté sans ? Si elles baissent, ne se seraient-elles pas réduites de toute façon ? Depuis quelques décennies, les chercheurs en sciences sociales, et particulièrement les économistes ont développé des méthodes plus rigoureuses pour répondre à ce type de question. Il s’agit d’un enjeu essentiel: pour assurer la transition écologique, il faut savoir ce qui marche, et à quel prix.
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A bientôt, et merci de l’intérêt que vous portez à mon travail. J’ai hâte de vous présenter l’article sur le lien économie-énergie et « le meilleur modèle macroéconomique du monde » qui sortira vendredi prochain.
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